« Ah les rêves, c’est toujours terrible !
Dans les rêves on ne peut pas s’empêcher de chercher une solution. »
Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard
Avant-propos
Il était une fois…
Oui, je crois bien que c’est ainsi que cela a commencé.
La marraine et bonne fée, ce fut Annamaria, sœur bienveillante d’Alfredo Capurso. Elle avait eu l’intuition que j’étais la personne à même d’écrire le livre dont il rêvait depuis longtemps. Elle nous a réunis chez elle.
Les rêves ont beaucoup compté dans cette histoire, peut-être parce que nous nous trouvions près de Rimini, la ville où a grandi Federico Fellini, le cinéaste des songes et fantasmes. Peut-être parce que se les raconter était le moyen le plus facile de dévoiler l’intime sans trop en dire.
D’Alfredo je savais seulement qu’il était accordeur de piano et qu’il vivait à Londres. Lui savait que j’écrivais des livres.
Ayant joué du piano par le passé, en possédant un, j’avais déjà eu recours à un accordeur, sans pour autant mesurer à quel point la tâche était complexe. Quant à l’histoire de l’échelle musicale et de la gamme tempérée, j’en ignorais tout.
J’avais appris d’Annamaria que son frère était l’auteur d’une découverte extraordinaire mais je n’en connaissais pas la teneur. De sorte que lorsque nous nous parlâmes, Alfredo et moi, d’un projet d’écriture, aucun de nous deux ne savait où cela allait nous mener.
Au cours d’une longue promenade il m’entretint de son travail et surtout de l’importance des battimenti. Je suis loin d’être bilingue ; ce jour-là, je crus qu’il me parlait des bâtiments où l’on installait les pianos ! Un quiproquo qui racontait la difficulté de ne pas disposer d’un langage commun. Il évoqua aussi les vagues – en italien on utilise le même mot pour parler des vagues de la mer et des ondes sonores –, ces maudites vagues comme le pensaient certains. Des vagues enchanteresses pour lui.
Après avoir remis en question des règles millénaires sur les notes de musique, Alfredo Capurso avait expérimenté un nouveau système d’accord à partir des fameux battements dont vous entendrez parler tout au long de ces pages : le résultat sonore était envoûtant, assurait-il. Cherchant alors à transmettre sa pratique originale et ne rencontrant qu’incrédulité, il s’obstina des années durant à prouver sa validité par les mathématiques. Lorsqu’il y parvint, sa théorie eut un effet de repoussoir auprès de la majorité de ses collègues ; le contraire de ce qu’il avait espéré.
Pour ma part, ayant été bercée durant mon enfance et adolescence par les jeux de logique et les raisonnements abstraits, je ne craignais ni les formules ni les chiffres. Cela dit, Alfredo répétait que l’aspect théorique de sa découverte ne devait pas être le sujet central du livre. L’important était de raconter quel joyau sonore il parvenait à extraire d’un instrument. L’émerveillement qu’il suscitait chez les pianistes tenait à sa méthode mais était aussi l’effet d’une passion qui avait embrasé sa vie et dont il souhaitait faire connaître la genèse.