Sorcières grimaçantes,
Mes sœurs de tourment,
Voyez l’infortunée,
Qui approche !
Malheureuse enfant
Qu’un hasard funeste a désignée.
Te voilà errante sur notre falaise,
Miroir de notre disgrâce.
(extrait du chant d’Adra)
On avait sorti le sofa – un des meubles récupérés par le maître des lieux, qui débarrassait les Françaouis, en chargeant sur sa charrette ce qui pouvait rendre sa maison plus confortable. Les hommes s’y assiéraient et y dégusteraient les douceurs sucrées que leur offriraient les femmes postées debout, derrière eux. Un événement capital avait été organisé. Au vu des dispositions qui avaient été prises, l’invité devait être un personnage de haute lignée, le père de son futur mari, supposait Wassila. Mais pourquoi n’était-elle pas associée aux préparatifs, comme le veut la tradition ? Et pourquoi Farida agitait-elle dans la maison et dans la cour le kanoun dont les effluves incommodent les créatures infernales ? L’adolescente s’interrogeait sans comprendre.
C’était le sort des filles de se marier et elle, qui allait sur ses seize ans, n’avait déjà que trop attendu. Mais elle avait peur. À quel homme serait-elle livrée ? Celui qu’elle devrait servir à jamais serait-il un homme doux ou serait-il brutal comme… ?
Lovée contre elle, sa cousine Feryel, une fillette de neuf ans, lui prodiguait sa tendresse muette. Malgré son incapacité d’exprimer avec des mots sa compassion, elle resterait auprès de Wassila le plus longtemps possible. Car elle, elle savait.