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La constellation du capricorne (extrait 2)

La constellation du Capricorne, roman de Marianne Chouchan

Au moment précis où Shéhérazade introduit la clé dans la serrure de l’appartement, son téléphone portable se met à vibrer. Lâchant le trousseau, elle fouille nerveusement dans son sac, se demandant qui peut la déranger à pareille heure.
Pas Mœbius qui doit être en pleine extase amoureuse. Elle ignore comment son adjoint séduit les femmes, mais il en a toute une ribambelle en réserve et ne se lasse jamais d’en conduire une nouvelle dans son lit. À en croire ses conversations téléphoniques, il use de suffisamment de tact et de gentillesse, pour que l’élue d’un soir se sente l’objet de toutes les attentions. Ce qui ne l’empêche pas, dès qu’il l’a conquise, de la remplacer par une autre qu’il a entrepris de séduire avant même d’avoir obtenu satisfaction de la précédente !
« Est-ce qu’elles pleurent quand tu les quittes ? lui a demandé Sheer, une interminable nuit où ils étaient en planque ensemble, et où ils évoquaient, l’un sa vie privée agitée, l’autre son bonheur tranquille.
– Pourquoi ? a répliqué Moebius étonné. Elles n’ont pas de raison d’être tristes, je leur ai donné ce qu’elles voulaient, nous avons juste partagé quelques heures agréables. Fin de l’histoire. Il m’arrive même de les revoir.
– Elles ne voudraient pas la prolonger, l’histoire ? Tu n’as jamais pensé à t’installer avec l’une d’entre elles ?
– Pour qu’elle me présente à ses parents, que nous prenions un crédit, que nous allions en vacances tous les ans à l’île d’Oléron  dans une maison réservée six mois à l’avance, de peur qu’elle soit louée par quelqu’un d’autre ? Surtout pas ! J’aurais trop peur de perdre ma liberté !
– Aucune ne s’est jamais sentie trahie, d’être abandonnée aussi vite ? a insisté Sheer.
– Pour qu’il y ait trahison, il faut qu’il y ait des serments. Je ne leur promets rien, elles non plus. Si elles regrettent de m’avoir connu, je n’y peux rien. »

Le portable insiste. Est-ce un message du quai des Orfèvres qu’elle vient  à peine de quitter ? Elle est tentée de ne pas prendre la communication. Mais lorsqu’elle voit la photo de l’homme qu’elle aime s’afficher sur l’écran de son portable, elle répond aussitôt.
« Ou es-tu ? demande-t-elle sans prendre le temps de saluer Enzo.
– Derrière la porte  ! chuchote-t-il. N’ouvre pas tout de suite. »
Shéhérazade sursaute. Que se passe-t-il ? Enzo est-il en danger ? Viendrait-on maintenant la menacer à domicile ? Qui ? Mentalement, elle fait l’inventaire des dernières affaires sur lesquelles elle a enquêté. Toutes ne sont pas résolues, loin s’en faut. Certaines sont en attente d’éléments nouveaux, qui viendront confirmer une traque menée souterrainement : le truand Dorval, dit l’Haltérophile, par exemple, a disparu de France après la livraison d’une cargaison suspecte, que la police n’a pu intercepter. Comme l’affaire s’est soldée par un règlement de comptes meurtrier, la brigade criminelle enquête. À son retour – s’il revient – on effectuera un coup de filet dans le milieu, espère-t-elle. Quelqu’un a-t-il averti Dorval ? La petite Mylène ? Elle paraissait fiable pourtant et clean, question drogue. À moins qu’elle ait menti, elle aussi ?
Shéhérazade est HS. Elle n’a qu’une envie : se glisser sous les draps, dans la tiédeur d’Enzo, et fermer les yeux en attendant avec délice que le sommeil ou le plaisir l’emportent. La vie en a décidé autrement. Ses réflexes professionnels doivent se substituer aux considérations privées. Tant pis, l’important étant qu’Enzo soit épargné. Certes son amant est un colosse mais que peut-il contre un révolver et une bande organisée ?
Par habitude, elle porte sa main vers le holster. Geste inutile : elle a déposé son arme de service au bureau, comme le réglement le lui impose. Elle devra compter sur ses talents de lutteuse.
« Enzo ? reprend-elle, elle aussi en chuchotant. Tout va bien ?
– Mais oui, ma chérie. Suis mes instructions ! N’entre pas avant. D’accord ?
– Je t’écoute. » 
Shéhérazade, malgré elle, panique : c’est une chose d’être un bon flic, une autre de veiller à la sécurité de l’homme qu’on aime.
« Qu’est-ce que je dois faire ? articule-t-elle le plus doucement possible, la voix chevrotante. Que se passe-t-il ?
– Attends que la lumière de l’escalier s’éteigne. »
Enzo ne répond pas à la deuxième question.
« Ça y est ? Il fait sombre ? Plus aucune chance que notre cher Tasmont te voie ? »
Shéhérazade acquiesce. Elle se demande ce que vient faire leur indiscret voisin de palier là-dedans. D’ailleurs, elle aimerait bien, pour une fois, que Robert Tasmont se mêle de ce qui ne le regarde pas et qu’il appelle des secours.